J’ai suivi avec un vif intérêt le débat au sujet de la forêt d’Ebo, située dans l’ouest du Cameroun. Ce cas est emblématique de la situation dans laquelle se trouve le pays, qui tente de trouver un équilibre entre ses aspirations en matière de développement et son identité écologique et culturelle.
Véritable menace
Le Cameroun a indéniablement besoin d’utiliser ses ressources naturelles et ce simple fait peut justifier les accords signés pour l’exploitation du bois, sa ressource la plus abondante. Mais la déforestation fait peser une véritable menace sur la biodiversité et le changement climatique, ce qui impose de s’interroger : quelle proportion de notre couvert forestier pouvons-nous céder ? En quoi hypothéquons-nous le bien-être de notre peuple en renonçant aux maisons ancestrales qu’abrite la forêt et en coupant ses liens avec les dépositaires de ses cultures, de son histoire et de son identité ?
J’ai grandi dans la campagne camerounaise, à une époque où le lien avec le monde naturel était sacré. Notre identité résidait dans ce lien. Chacun était conscient que le sort de la forêt et celui de la communauté étaient indissociables. Comme la plupart des gens en Afrique, nous avions des animaux totems auxquels nous étions très étroitement liés, de manière culturelle comme spirituelle. Les chasser ou les manger était tabou.
La communauté Banen entretient avec la forêt d’Ebo le même type de lien. Pour ses membres, l’exploitation forestière ne signifierait pas seulement la perte d’un habitat dont ils dépendent pour boire, se nourrir et même se soigner. Elle entraînerait également la perte d’un échange spirituel et intime avec la forêt, ainsi que de lieux de sépulture ancestraux chargés de la conservation de l’histoire et de l’identité de toute une communauté. Elle accélérerait l’extinction des chimpanzés à l’étonnante dextérité et du Nigeria et du Cameroun, qui sont aujourd’hui menacés.
Le modèle de gestion que les autorités du Cameroun ont voulu promouvoir à Ebo n’est pas nouveau. L’exploitation forestière industrielle remonte à l’époque coloniale et les forêts du Cameroun, qui font partie du bassin forestier du Congo, sont depuis longtemps une importante source de revenus pour le gouvernement. Environ 40 % du couvert forestier du pays est constitué d’unités de gestion pour l’extraction du bois.
Ces unités sont chargées de promouvoir le développement rural et de garantir une gestion durable de la ressource. Mais elles ont été au cœur de conflits entre l’État et les communautés locales. Ces dernières arguaient que les unités de gestion forestière les dépossédaient sans contrepartie, une petite élite s’accaparant les recettes de l’exploitation du bois. Le Centre pour la recherche forestière internationale (Cifor) estime même que l’impact des unités de gestion forestière a été globalement négatif.
Il est donc urgent de définir un nouveau système de gestion des ressources forestières du Cameroun, un système qui respecte les droits et les aspirations des populations autochtones dont la survie dépend bien souvent des forêts et qui, pourtant, sont tenues à l’écart de la prise de décision.
Des avantages économiques indispensables
Dans la réserve de faune du Dja, située dans le sud-est du pays, African Wildlife Foundation (AWF) travaille en étroite collaboration avec les communautés locales pour mettre en œuvre des initiatives de conservation qui protègent cet écosystème contre la surexploitation tout en apportant des avantages économiques indispensables à la population.
Nous avons par exemple formé des femmes pour qu’elles apprennent à transformer les produits forestiers non ligneux en produits cosmétiques tels que savons et crèmes. Grâce à un financement de l’Union européenne, nous aidons les agriculteurs à créer des coopératives pour qu’ils se regroupent et vendent du cacao issu d’une exploitation durable – cela a permis de réduire leur dépendance à l’égard de l’exploitation forestière et de la chasse pour payer les frais de scolarité de leurs enfants ou acheter des médicaments. Cette approche entrepreneuriale endogène construit également la résilience des communautés.
Cela montre qu’il existe d’autres façons de gérer les ressources naturelles – des façons qui ne nuisent ni à la riche biodiversité pour laquelle ce pays est connu ni aux personnes qui forment le cœur et l’âme de cette grande nation.
Je salue le fait que le gouvernement soit revenu sur sa décision et qu’il ait annulé, mi-août, un décret qui ouvrait la voie à l’exploitation de plus de 68 000 hectares dans la forêt d’Ebo. Changer de cap et donner une chance à la consultation et à l’arbitrage est une preuve de leadership. J’espère que cela marquera le début d’une nouvelle ère d’égalité et de prospérité, dans laquelle le Cameroun n’aura pas à choisir entre développement et environnement. Il peut avoir les deux, au prix d’une bonne planification.