C’est sa victoire à lui. Sorti blanchi des accusations de mauvaise gouvernance portées contre lui, le Nigérian Akinwumi Adesina, 60 ans, a été réélu président de la Banque africaine de développement (BAD), à l’issue de son assemblée générale annuelle qui s’est tenue sur deux jours à Abidjan. Le plébiscite est sans appel, il sonne comme une revanche. « Le résultat de l’élection (…) lui a permis d’obtenir 100 % des votes de tous les membres régionaux et non régionaux de la Banque. En tant que président nouvellement réélu, le Dr Adesina, ancien ministre nigérian de l’Agriculture, débutera son nouveau mandat (de 5 ans) le 1er septembre 2020 », dévoile le texte du communiqué diffusé par la BAD ce jeudi 27 août après-midi. « Ces assemblées annuelles sont pour moi l’occasion de vous offrir à nouveau mes services et de briguer un second mandat à la présidence de la BAD », avait d’emblée fixé comme enjeu Akinwumi Adesina, élu en 2015.
Une réélection sans surprise
Fin juillet, ce fils de paysan pauvre devenu superbanquier de l’Afrique avait été disculpé d’accusations de mauvaise gestion par un comité d’experts, à l’issue d’un feuilleton médiatico-financier qui a duré trois mois et déstabilisé l’institution. Des accusations qui ont terni l’image de cet économiste du développement de renommée mondiale qui avait assuré avec brio une augmentation de capital géante de 115 milliards de dollars en octobre 2019. « Je suis ravi que le Conseil des gouverneurs ait réélu M. Adesina pour un second mandat à la présidence du groupe de la Banque. En tant qu’actionnaires, nous soutenons fermement la Banque et apporterons à M. Adesina tout le soutien nécessaire pour poursuivre et mettre en œuvre sa vision convaincante pour la Banque au cours des cinq prochaines années », a assuré Niale Kaba, présidente du Conseil des gouverneurs de la Banque et également ministre du Plan et du Développement de Côte d’Ivoire.
La success story Adesina
Le flamboyant nigérian, qui jongle subtilement entre les mondes anglophones et francophones, commencera son nouveau mandat dès ce 1er septembre avec devant lui d’importants défis à relever pour les cinq prochaines années. Dès ses premiers pas à Abidjan, capitale ivoirienne qui abrite le siège de la BAD, une des cinq principales banques multilatérales de développement au monde, créée en 1964, l’homme avait imaginé reprendre le flambeau du Rwandais Donald Kaberuka en axant son programme sur cinq piliers connus sous l’appellation « High 5 », à savoir : nourrir, électrifier, industrialiser, intégrer le continent et améliorer la qualité de vie de ses habitants. « Je suis profondément reconnaissant pour la confiance collective placée en moi, la confiance et le soutien fermes de nos actionnaires qui m’ont élu pour un second mandat à la présidence de la Banque. Il s’agit là d’un nouvel appel à un service désintéressé pour l’Afrique et la Banque africaine de développement, auquel je me consacrerai avec passion », a-t-il réagi dans un communiqué transmis à la presse.
Charismatique, réputé beau parleur, cet excellent communicateur a donné une visibilité internationale à l’institution panafricaine de développement, attirant les capitaux et multipliant les annonces de financements de projets sur le continent. Jusqu’aux accusations, tout était parfait. La success story commence le 6 février 1960 dans une famille de fermiers de l’État d’Ogun (sud-ouest du Nigeria). Diplômé d’une licence en économie agricole à l’université d’Ife (sud-ouest du Nigeria), puis d’un doctorat de la prestigieuse université Purdue aux États-Unis en 1988, il occupe des fonctions d’économiste dans des institutions agricoles internationales, collabore à la Fondation Rockefeller, puis devient l’un des dirigeants de l’Alliance pour la révolution verte en Afrique (Agra).
En 2011, c’est la consécration politique dans son pays : il est nommé ministre de l’Agriculture. Son action pour développer le secteur agricole sera largement saluée, jusqu’à lui valoir une renommée médiatique internationale : il est élu « personnalité africaine de l’année » par le magazine Forbes en 2013.
En 2015, il s’empare à l’issue d’un intense lobbying de la présidence de la BAD, une des cinq grandes banques multilatérales de développement, succédant au Rwandais Donald Kaberuka.
Dans un rapport détaillé, des lanceurs d’alerte lui reprochent alors son favoritisme dans des nominations de hauts responsables, en particulier de compatriotes nigérians. Il est aussi accusé d’avoir nommé ou promu des personnes soupçonnées ou reconnues coupables de corruption, ou de leur avoir accordé de confortables indemnités de départ sans les sanctionner.
Adesina use alors de son lyrisme habituel pour défendre son « honneur » et son « intégrité », convoquant la mémoire de ses « héros » Nelson Mandela, Kofi Annan et Martin Luther King.
« La personnalité d’Akinwumi Adesina est inédite », juge un économiste ivoirien. « Il est exubérant, sans doute trop visible pour le monde feutré de la banque, jusqu’à donner une impression d’arrogance, de tout se permettre. »
Un boulevard pour les cinq prochaines années
Bien sûr, durant ces deux jours d’assemblées annuelles virtuelles pour cause de pandémie de coronavirus, l’homme reconnaissable à son éternel costume nœud papillon est largement revenu sur son bilan, chiffres à l’appui, même s’ils sont invérifiables. Ainsi, d’après lui, sous sa direction : 18 millions de personnes ont eu accès à l’électricité, 141 millions de personnes ont bénéficié de technologies agricoles améliorées au titre de la sécurité alimentaire, 15 millions de personnes ont eu accès à des financements provenant d’investissements privés, 101 millions de personnes ont bénéficié de transports améliorés et 60 millions de personnes ont eu accès à l’eau et à l’assainissement.
Plus concrètement, il faut souligner que la Banque a conservé sa note AAA attribuée par toutes les grandes agences mondiales de notation pendant cinq années consécutives. Un triple A loin d’être un acquis. L’agence Fitch menaçait il y a encore quelques années de revoir sa notation à la baisse si la BAD ne faisait rien pour arrêter l’hémorragie de l’endettement. Adesina, il faut le dire, sait trouver des arguments auprès de ses interlocuteurs. Résultat : en fin d’année 2019, le Conseil des gouverneurs de la BAD a approuvé une augmentation de 125 % du capital général de l’institution, le faisant passer de 93 milliards de dollars à 208 milliards de dollars, soit l’augmentation la plus importante. « L’avenir nous invite à œuvrer pour une Afrique plus développée et pour un Groupe de la Banque africaine de développement beaucoup plus fort et plus résistant. Nous nous appuierons sur les solides bases du succès enregistré au cours des cinq dernières années, tout en renforçant davantage l’institution, pour une plus grande efficacité et un plus grand impact », a déclaré M. Adesina.
Très optimiste, Akinwumi Adesina semble avoir tourné la page de ces derniers mois de tensions. Si elles n’ont pas empêché sa réélection, les accusations et le feuilleton ont marqué le personnel de la BAD. Car en interne, la gestion du personnel de M. Adesina a causé des remous sans précédent en cinq ans, entraînant le départ de nombreux cadres. Sous couvert de l’anonymat, des employés lui reprochent de diriger par la « terreur », ce qui a entraîné une hémorragie de cadres depuis son arrivée. « Il s’est fait beaucoup d’ennemis en tentant de réformer la banque, il a notamment beaucoup favorisé les anglophones par rapport aux francophones », nuance l’économiste ivoirien cité par l’AFP. Des cadres l’accusent aussi de communiquer plus que d’agir, et d’embellir son bilan. D’autres craignent désormais qu’avec sa réélection qui lui « donne à nouveau les coudées franches », il se lance dans une « chasse aux sorcières ».