Dans une récente interview, accordée à un média international, le chef de l’Etat guinéen, Alpha Condé, a évoqué avec ses interlocuteurs un ensemble de sujets touchant à la présidentielle du 18 octobre prochain. A 82 ans, sans langue de bois, il s’est expliqué sur le motif de sa candidature et a accepté également de s’expliquer, entre autres, sur son discours, classé dans la catégorie de la connotation ethnique.
Pourquoi vous êtes candidat à la présidentielle du 18 octobre ?
D’abord, je dois vous rappeler que lorsque le Conseil national de transition (CNT) de 2010 sous la junte militaire, avait été mis en place, j’avais dit que je n’étais pas d’accord parce que les personnes qui le composaient étaient choisies n’importe comment et n’avaient aucune qualification pour faire une Constitution. Quand nous sommes partis à Ouagadougou, au Burkina Faso, (Ndlr : Blaise Compaoré était le médiateur désigné de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), nous étions tombés d’accord pour laisser les militaires promulguer la Constitution sans référendum, mais le gouvernement qui viendrait devrait faire une nouvelle Loi fondamentale.
Mais, lorsque nous sommes arrivés aux affaires, en 2010, je vous rappelle que j’avais dit que j’ai hérité d’une Nation, et non d’un Etat. On n’avait conclu aucun contrat avec le Fonds monétaire international (FMI). Ainsi, il a fallu que je me batte pendant deux ans pour obtenir l’initiative des Pays pauvres très endettés (PPTE).
Ensuite, le pays a secoué par l’épidémie Ebola qui a provoqué plusieurs contre-performances dans divers domaines socio-économiques du pays.
Aussi, il n’y avait pas de courant, ni d’hôtels et de routes. Mes préoccupations étaient d’abord de m’occuper de ces secteurs avant de songer à faire une nouvelle Constitution qui sera soumise au peuple. Qu’est-ce qu’il y a de plus démocratique que de soumettre au peuple par voie référendaire l’adoption d’une Loi fondamentale ?
Alors ce troisième mandat est dénoncé par l’opposition comme un coup d’état constitutionnel. Qu’est-ce que vous répondez à ceux qui disent que c’est une présidence à vie que vous avez toujours combattue ?
Ecoutez, premièrement, c’est une Constitution où tout le monde a été consulté. Ensuite, lorsqu’il y a une Constitution, ceux qui sont d’accord votent Oui, et ceux qui ne sont pas d’accord votent Non. Comment on peut parler de coup d’état lorsque la Loi fondamentale élaborée sous la transition militaire n’a pas été soumise au référendum, alors que celle du 22 mars dernier l’a été.
Je voudrais vous faire remarquer que les limitations de mandats sont venues de fait qu’il y’avait des chefs d’Etats qui restaient très longtemps au pouvoir et qui ne travaillaient pas. C’est ce qui explique la tenue des conférences nationales dans plusieurs pays africains en vue de changer, mais ce n’est pas une question de dogme.
C’était quelque chose de conjoncturel. Il ne s’agit pas de faire une présidence à vie. Moi, je me suis battu pendant 44 ans, j’étais opposant, condamné à mort par le défunt premier président, Sékou Touré, et emprisonné par son successeur, Lansana Conté .
J’ai gagné les élections en 1993 face au défunt Lansana Conté, et tout le monde le sait. J’ai refusé de créer des problèmes, alors que je bénéficiais du soutien des militaires. J’ai dit que je ne suis pas venu pour gouverner des cimetières, mais des hommes et je suis repart d’où j’étais venu. Donc, si je voulais une présidence à vie, j’allais déjà commencer en 1993.
Si vous êtes réélu, est ce que ce sera votre dernier mandat ?
Pour le moment, nous allons aux élections, et il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Attendons de voir, car une élection n’est jamais gagnée à l’avance.
Monsieur le président, en Côte d’Ivoire, Alhassane Dramane Ouattara (ADO), avait fait le choix en mars dernier de ne pas se présenter à l’élection présidentielle. A cette époque, vous avez été pointé du doigt comme le seul président à vouloir briguer un troisième mandat. Maintenant que vous voyez qu’ADO est candidat, est ce que vous vous sentez moins seul ?
Ecoutez, moi je suis un Guinéen, je m’occupe de la République de Guinée, je ne m’occupe pas des autres pays. Mais, je vous fais remarquer qu’il y’a des présidents qui ont trois, voire quatre mandats. Mais, curieusement ceux-ci ne sont pas critiqués. Et cela passe comme une boite aux lettres. C’est très étrange que les gens fassent trois à quatre mandats sans jamais être critiqué. Le président Alassane est mon frère, il est libre de son choix et je n’ai pas de comment²aire à faire.
Le fichier électoral a été très contesté lors du référendum, il y a six mois, mais la CEDEAO l’a estimé de qualité suffisante. Est-ce que vous pensez que ces élections seront transparentes ? Est-ce que vous accepterez votre défaite ?
Mais c’est normal. Je vous fais remarquer qu’il y’avait 2400 mille voix qui étaient contesté, pas parce qu’elles n’existaient pas. Mais il manquait une pièce d’identité. Et les 2400 mille voix ont été retirées.
Donc le fichier du référendum est totalement correct parce que la CEDEAO a estimé que les 2 400 000 mille voix ont été éliminées.
Les membres de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et de l’opposition avaient fait une révision complémentaire avec les nouveaux mineurs. Nous avons fait cette révision, la CEDEAO et l’union africaine ont envoyé des experts, et après avoir travaillé pendant plus de deux semaines, ils ont dit que le fichier était fiable.
Vous accepterez le verdict des urnes, même si on vous dit que vous êtes battu ?
Je suis un démocrate. Laissez-moi vous dire quelque chose, moi je me suis battu pendant 45 ans. Mes adversaires sont des fonctionnaires qui ont été Premiers ministres qui ont pillé les deniers publics avant de créer des partis politiques. Je pense que c’est extraordinaire que moi qui me soit battu pendant 45 ans que je sois considéré comme un antidémocrate. Et ceux qui ont pillé le pays, parce que le président Conté disait : « moi je suis un militaire, je m’occupe du camp et des frontière, vous, les technocrates, faites ce qui est bien pour le pays ».
Je suis venu en 2010, et voyez dans quel état le pays était. La Guinée a la particularité d’avoir des opposants qui sont tous des anciens Premiers ministres dont la gestion a été analysée par « Afrique média » qui les ont appelé « les fossoyeurs de l’économie guinéenne ».
Justement, parmi eux il y’a votre opposant historique, Cellou Dalein Diallo qui a décidé de se présenter à l’élection présidentielle, alors que le reste de l’opposition a appelé au e boycott. Est c’est une victoire pour vous, la candidature de Cellou ?
Je vous fais remarquer qu’au sein du Front national pour la défense de la constitution (FNDC), il y a des candidats. Il s’agit de Cellou Dalein Diallo, des anciens ministres, Ousmane Kaba et Abdoul Kabélè Camara.
Il y’a un mois vous avez dit à vos partisans que cette élection, c’est comme si nous partons en guerre. Mais après une visite conjointe de la CEDEAO, des Nations-Unies et de l’Union africaine (UA), vous êtes revenu sur ces propos, vous avez dit : ‘’on n’est pas en guerre ». Monsieur le Président, est ce que ce revirement est sincère ?
Je n’ai jamais dit à mes militants que c’est une guerre. Depuis le début je ne participe aux meetings, mais je parle simplement en visioconférence. Et je vous défie de montrer une vidéo où j’ai parlé de guerre. J’ai toujours dit à nos militants et sympathisants de ne pas provoquer les gens, ni de jeter des pierres.
Lorsque le Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, (Ndlr : Directeur de campagne du candidat Alpha Condé) est allé récemment à Labé, en Moyenne Guinée, fief de Cellou Dalein Diallo, son véhicule a été gâté et j’ai appelé partout pour dire à nos militants et sympathisants de ne pas tomber dans la provocation.
Vous ne verrez pas dans une seule de mes interventions où j’ai parlé de guerre. J’ai toujours dit que personne ne viendra développer la Guinée en l’absence des Guinéens. J’ai toujours dit que nous devons être solidaires et que le combat politique est une compétition et il revient au peuple de choisir en fonction des programmes (…)
Quelque chose que vous avez dit, c’est que vos adversaires veulent se proclamer vainqueurs pour ensuite se réfugier dans une ambassade en pensant qu’il y aura la guerre. Est-ce que vous craignez un scénario comme au Mali où l’armée est parvenue à renverser le Président Ibrahim Boubacar Keita ?
Je vous ferais remarquer qu’il n’y’a jamais eu de coup d’Etat en Guinée. L’armée a pris le pouvoir après la mort de Sékou Touré, en 1984, et aussi après la mort de Lansana Conté en 2008. La Guinée n’a pas eu de guerre civile, ni de rébellion ou de coup d’état. Aujourd’hui, nous avons une armée reformée et cela fait quatre ans que nous sommes à Kidal (Nord du Mali). Nous sommes le cinquième bataillon dans ce pays voisin.
Je sais, parce que j’ai vu dans leur déclaration, qu’ils voulaient se faire proclamer vainqueurs de cette élection, mais je n’ai même pas dit le nom de quelqu’un. J’ai dit qu’il y a un opposant qui, à 18heures le jour du scrutin, veut se proclamer vainqueur et se réfugier dans une ambassade.
Cellou Diallo dénonce une instrumentalisation de la différence ethnique. Et il n’est pas le seul à pointer ce danger, puisse que la semaine dernière, la délégation internationale que vous avez reçue a condamné fermement les discours à relents ethniques. Visiblement, cette délégation visait les deux camps. Qu’est-ce que vous répondez à cela ?
Je n’ai jamais tenu un discours à relents ethniques. Je suis Malinké, mais je parle dix fois mieux Soussou. Deuxièmement, Sékou Touré était un président malinké, mais je l’ai combattu et il m’a condamné à mort. Je n’ai jamais tenu de discours ethniques parce que je suis un panafricaniste.
On a récemment commémoré le massacre du 28 septembre de 2009. Plus de dix an après, si vous êtes réélu, est ce que ce procès aura lieu ?
Nous nous sommes mis d’accord avec la Cour pénale internationale (CPI) en vue de construire un bâtiment pouvant abriter le procès. Je vous ferais remarquer que je ne suis pas responsable du massacre du 28 septembre.
Propos transcrits par Ismaël Diallo