Le président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), principal parti de l’opposition, par ailleurs challenger du président sortant, Mamadou Cellou Dalein Diallo, s’est, à son tour, prêté aux questions de France 24 et de RFI. Après avoir sabordé le bilan de Condé, il le met en garde contre toutes tentatives de fraudes lors du scrutin du 18 octobre.
Monsieur Cellou Dalein Diallo, vous critiquez à de longueur journée Alpha Condé, alors qu’il y a des route, des barrages… Que ferez-vous de mieux que lui ?
Beaucoup plus. D’abord, il faut dire que, comme me disait le «Sotikémo» de Faranah, (Ndlr : chef de village) si vous construisez partout des autoroutes, des barrages ou des châteaux, si vous semez la haine dans le cœur des Guinéens, s’ils ne se battent pas pour détruire, les enfants le feront.
Alpha condé a divisé la Guinée. C’est le premier point noir de son bilan. Ensuite, il n’y a pas de routes du tout. Je viens de traverser une dizaine de routes et de villages, mais il n’y a pas d’entretien. Il n’y a pas un kilomètre de plus de route bitumée entre les préfectures.
Il a fait reculer la démocratie et les droits de l’homme dans le pays. Je vous rappelle qu’il y’a plus de 203 personnes tuées dans les manifestations et qui n’ont pas eu droit à la justice. Il n’a jamais organisé à bonne date les élections.
Il a fallu chaque fois que l’opposition manifeste pour le faire. Et les manifestations sont toujours réprimées dans le sang. C’est pourquoi aujourd’hui, il est rejeté dans ses fiefs traditionnels.
Cellou Dalein Diallo, vous aussi, vous avez un bilan. Alpha Condé vous accuse d’avoir été le Premier ministre d’un dictateur, Lansana Conté, et d’avoir été un fossoyeur de l’économie guinéenne ?
En 2010, c’était le même discours. En 2020 c’est le même discours. Mais il a l’opportunité de présenter son bilan au lieu d’accuser un Premier ministre. La moitié de son gouvernement est constituée d’anciens ministres de feu Lansana Conté. Et ceux qui sont opposés à lui, sont des délinquants économiques. Mais il n’a jamais fourni la preuve de ce qu’il affirme.
Il y a six mois, vous avez décidé de boycotter les élections législatives et vous avez perdu votre siège de député à cette occasion. Et aujourd’hui, contre l’avis de vos partenaires du Front national pour la défense de la constitution (FNDC), vous allez à la présidentielle. Dans ce cas, n’est-il pas incohérent ? N’allez-vous pas perdre les voies de vos amis comme Sidya Touré et d’autres qui appellent eux au boycott ?
A l’UFDG, pour ses dirigeants et ses militants, cette élection est une opportunité de montrer que le peuple de Guinée est contre ce troisième mandat. Pour nous, aller à cette élection, est une voie pour s’opposer au troisième mandat. Et nous avons dit que nous empruntons cette voix aussi, sans renoncer à celle qui a été empruntée par le FNDC jusqu’à présent.
Nous sommes conscients que le peuple de Guinée pourra montrer qu’il est opposé au troisième mandat en administrant un vote sanction à M. Alpha Condé.
Aujourd’hui, comme je l’ai dit, il est décrié partout. D’abord, parce qu’il a un bilan catastrophique, en outre parce qu’il a trahi son serment, il a violé la Constitution qui lui a permis d’être élu depuis son premier quinquennat, en 2010.
Le peuple de Guinée n’a pas apprécié son obstination à se maintenir au pouvoir. Avec son âge, il n’a plus la capacité physique et intellectuelle d’exercer cette fonction exigeante de Président de la République. Et il a dit qu’il fait campagne par visioconférence.
Vous dites qu’il n’est plus en état physique d’exercer sa fonction ? C’est cela ?
Il est trop fatigué. Aujourd’hui, à 86 ans, la fonction de Président de la République. Aujourd’hui, il a choisi de faire sa campagne par visioconférence, parce qu’il n’a pas la capacité physique d’aller rencontrer les populations pour présenter son bilan.
Donc, je pense qu’il devrait accepter de partir dignement à la retraite et de nous laisser lui réserver tous les honneurs dus à un ancien président.
Est-ce que vous ne tombez pas dans des attaques personnelles qui ne sont pas dignes de cette confiance ?
Non, non ! J’ai dit qu’il a fait ses deux mandats autorisés. Il faut qu’il puisse partir dignement. (…)
Vous avez dit récemment que le risque d’un holdup électoral par Alpha Condé était moins grand que par le passé. Est-ce que vous êtes rassuré par le fichier électoral dont la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dit qu’il est de qualité insuffisante ?
Je n’ai jamais dit que le risque d’un holdup er était nul ou moins important. J’ai dit que M. Alpha Condé ne peut pas récolter des suffrages aujourd’hui suffisamment pour pouvoir se déclarer vainqueur de cette élection.
Le fichier n’a jamais été consensuel et sincère (…) Ce n’est pas encore le cas. Ici, l’avantage que nous avons, c’est que même si les élections étaient organisées seulement dans son fief, Alpha Condé le perdrait, parce que personne ne veut de lui.
Est-ce que vous craignez des fraudes à grande échelle à cette élection?
Oui, il va tenter de faire des fraudes. Alpha Condé n’a pas d’électeurs aujourd’hui. Mais, il a des fraudeurs, des préfets, des sous-préfets, l’administration et les ministres. Tout le monde est à pied- d’œuvre par assurer le maximum de suffrages, alors que le peuple n’en veut pas.
Mais nous sommes vigilants, et nous n’accepterons pas que nos voies soient volées cette fois-ci.
Il a aussi affirmé qu’un candidat de l’opposition allait se proclamer vainqueur avant d’aller se réfugier dans une ambassade. Evidemment, il vous visait. Qu’est-ce que vous allez faire ?
Ce n’est pas moi ça. Moi, je n’ai jamais pensé à me refugier. Alpha Condé a un défaut, car lorsqu’il était opposant, tout ce qu’il faisait à l’époque, il veut les attribuer à ses opposants.
Il a passé son temps à organiser des rebellions, des complots et des tentatives d’assassinat. Il a grimpé des murs et est allé se réfugier dans des ambassades. Ce n’est pas mon cas.
Moi, si je gagne, je proclamerais mes résultats. Mais, je n’irais me refugier nulle part. Quelqu’un qui veut assurer la fonction de Président de la République ne va pas se cacher.
Vous accusez Alpha condé d’instrumentaliser la question ethnique, mais il nie farouchement et accuse vos militants d’avoir caillassé le véhicule de son Premier ministre (Ibrahima Kassory Fofana) récemment. Est-ce que la CEDEAO n’a pas raison de vous mettre tous en garde contre toute tentation de jouer sur cette carte ethnique ?
J’ai écouté Alpha Condé lorsque vous l’interrogiez. Il nie avoir parlé de l’ethnie, mais je vais vous envoyez l’audio. Parce que c’est récent, il y a moins d’un an. Il n’a pu l’assumer parce que ce n’est pas facile.
Alors, les violences ne sont pas des choses que l’UFDG souhaite. Nous avons toujours appelé au calme.
Vous savez en 2010, j’ai gagné les élections, et c’est au nom de la paix que j’ai renoncé à ma victoire parce que les tensions de nature ethnique étaient créées par Alpha Condé, et entretenues par le gouvernement de transition qui croyait que si je refusais les résultats proclamés par la Cour suprême, le pays risquait de tomber dans des violences qui pouvaient déboucher sur une guerre civile.
Si vous jugez que le résultat n’est pas fidèle à la réalité, est ce que vous allez appeler vos partisans à descendre dans la rue ?
Nous sommes entrain de nous organiser pour avoir tous les résultats en temps réel. Nous allons déployer 32.000 délégués dans les bureaux de vote pour que dès que le dépouillement est terminé, les procès-verbaux dressés, nous ayons les résultats. Si nous avons des résultats qui confirment que nous avons gagné, on le dira parce qu’on publiera les résultats qu’on obtiendra au fur et à mesure pour que le peuple de Guinée soit informé.
Au cas où nous perdrons, je serais le premier à féliciter M. Alpha Condé. Mais au cas où je serai vainqueurs et qu’il se proclame élu, on ne l’acceptera pas.
Ça veut dire que vous allez faire sortir les gens dans la rue ?
Nous allons appeler à manifester pour s’opposer au holdup électoral.
Propos transcrit par Ismaël Diallo