C’était un jeudi 2 octobre 1958 dans les environs de 9heures, lorsque, la presqu’île de Kaloum, sous une ombre apparemment apaisée, s’apprêtait à recevoir une phrase, ou tout au moins une expression héroïque qui allait rester gravée dans la mémoire de l’histoire palpitante et tumultueuse de notre pays, la République de Guinée. Cette phrase qui, jadis, était l’incarnation de la fierté de toute une nation, symbolisait à la fois la spécificité de notre pays dans son combat pour une Afrique digne et respectée. Oui ! Spécificité de la Guinée.
En effet, ce jour-là, la Guinée fut le seul pays à rejeter le projet de communauté franco-africaine que le général Charles De Gaulle avait soumis aux pays africains comme désormais le modus operandi de leur relation. C’est ainsi que 2 ans plus tard, une dizaine de pays africains ont emboîté le pas, emboitant sans ambages, cette courageuse voie tracée par le peuple de Guinée.
Mais, il tout est parti de la fameuse expression prononcée par les pères fondateurs de notre indépendance, par la voix de l’indomptable Ahmed Sékou Toure, qui déclara, dans son inimitable style : « ……Nous préférons la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage ».
Dans cette déclaration, il s’agit clairement de liberté, sinon de l’indépendance vis-à-vis du colon et de tout autre corpus pouvant prétendre nous imposer, au nom de quoi que ce soit, son desiderata. Bien sûr, l’on pourrait raisonner qu’un pauvre ne peut être libre. L’on pourrait aussi raisonner que la liberté et l’opulence ne sont pas antagonistes. Que les deux ne forment pas nécessairement un sigma algèbre d’évènements ; qu’elles ne s’excluent pas mutuellement et que, d’ailleurs, elles peuvent se renforcer mutuellement.
Alors, qu’en est-il aujourd’hui, 66 ans après notre indépendance ? Force est de reconnaître que nous ne sommes ni opulents, ni libres. Nous avons le pire des deux mondes : la pauvreté et la dépendance. C’est bien cela la trahison dont nous sommes coupables vis-à-vis de cet engagement de nos fondateurs de notre indépendance.
Au plan politique, nous restons foncièrement dépendants de l’opinion et des actions non pas seulement du colon, mais aussi de ce qu’il est convenu d’appeler communauté internationale. A titre illustratif, il y a juste quelques temps, l’autre figure politique majeure guinéenne depuis 15 ans maintenant, El hadj Cellou Dalein, insinuait, non sans raison, que les difficultés liées au retour à l’ordre constitutionnel s’expliquaient par le mutisme de la communauté internationale. Lors d’une intervention sur Africaguinee, comme pour s’en prendre au double standard de la communauté internationale, le sieur Cellou dénonçait le fait que celle-ci s’acharnait contre les dirigeants des pays de l’AES qui sont dans une situation de crise sécuritaire, alors même qu’elle restait dans une sorte de silence coupable à l’égard du Général Mamadi Doumbouya et ses ouailles et, ce, malgré, assenait-il, les cas de violation manifeste des droits de l’Homme en Guinée. Sans vouloir entrer dans une quelconque dénonciation, je voudrais simplement noter que ces attitudes montrent clairement la dépendance viscérale de notre « indépendant pays » de l’opinion de ceux dont il entonne haut et fort son indépendance.
Même une frange de la société civile et acteurs politiques n’ont confiance ou de boussole que la communauté internationale, en tout cas dans le cadre du dialogue qu’elles appellent de tous leurs vœux. Le CNRD lui-même n’est pas en reste. A travers son Ministère des Affaires étrangères, de l’Intégration africaine et des Guinéens établis à l’étranger, il est heureux de tirer toute sa légitimité de l’approbation dont elle bénéficie de la fameuse communauté internationale, évidemment que la situation lui parait favorable. Sinon, c’est le recours à la propagande habituelle de souveraineté. Où est l’indépendance politique alors ?
Au plan économique, nous subissons de plein fouet les desiderata des étrangers sur notre propre terre. En effet, les plus importantes sociétés aujourd’hui sont soit détenues, soit dirigées, soit carrément les deux par les non guinéens : Orange Guinée, SMB, Winning, TOPAZ, Bolloré, Albayrak, ASHAPURA, SHERATON,…
Au plan technologique, on ne peut rien produire par nous-mêmes. De simples barres de métaux aux bâches en passant par les fils d’attache, tous utilisés pour les tribunes des officiels construites à l’esplanade du stade du 28 septembre de Dixinn pour la cérémonie de circonstance. Il en est de même pour les fusils qui seront exhibés pendant les défilés aux bottes, ceintures et uniformes que nos forces armées vont porter pendant les festivités…
Du microphone dans lequel les différents orateurs parleront à la langue dans laquelle ils s’expriment. Du simple mouchoir ou kleenex avec lequel certains officiels bluffent pour la circonstance aux lunettes noires derrière lesquelles certains se cacheront, là aussi pour la circonstance.
A la lumière de tout ceci, que célébrons-nous au juste, le 2 octobre 2024 ? Notre pauvreté ou notre dépendance ? Ou tout simplement la trahison de l’esprit des pères fondateurs de notre indépendance ? Je suis à l’écoute. Wassalam.
Mamadou Saliou Camara
Coordinateur Général de la plateforme citoyenne MERCI _Guinée