Le 05 septembre 2021, la République de Guinée a été victime, une fois de plus, de certains de ses fils qui ont brutalement interrompu le cours normal démocratique qui s’était installé depuis plus d’une décennie avec l’avènement de M. Alpha Condé au pouvoir. On se rappelle encore les douloureux évènements, qui ont précédé cet avènement, perpétré déjà par un régime putschiste. D’ailleurs un procès s’est tenu durant plus de deux ans, inculpant les dirigeants d’alors ayant accédé au pouvoir en 2008 en la faveur du décès d’un autre président putschiste, le Général Lansana Conté. Ces évènements, disais-je, connus sous la dénomination de massacre du 28 septembre 2009 ont plongé la Guinée dans une répression sanglante et massive que ce pays n’avait jamais connu d’antan.
Les pressions internes et externes finiront par obliger les militaires à organiser des élections présidentielles pour assurer une transition inclusive et réussie. Une décennie de règne plus tard, le président démocratiquement élu s’est donné pour mission de contourner la constitution subrepticement, par cette astuce politique utilisée par beaucoup de dirigeants consistant au changement pur et simple de la constitution à la fin de son dernier mandat. Faut il rappeler que cette pratique est proscrite par toutes les organisations internationales. Il est clairement stipulé par exemple dans la Déclaration de Bamako de 2002 que « La démocratie est incompatible avec toute modification substantielle du régime électoral introduite de façon arbitraire ou subreptice, un délai raisonnable devant toujours séparer l’adoption de la modification de son entrée en vigueur ».
Cette même déclaration soutient que « que, pour préserver la Démocratie, la Francophonie condamne les coups d’Etat et toute autre prise de pouvoir par la violence, les armes ou quelque autre moyen illégal ». Ce coup de force impopulaire aura une conséquence désastreuse dans le contexte politico social et économique du pays qui était très fragilisé par la gestion opaque du régime Alpha. En 2020 exactement le 22 mars, sera ainsi organisé le référendum constitutionnel à l’issue duquel le « OUI » l’emportera à plus de 89% des voix.
Cette situation découlera sur l’organisation des élections couplées présidentielles et législatives le 18 octobre 2020 dont les résultats contestés par l’opposition donneront M. Alpha Condé largement vainqueur quoi que l’opposant historique M. Cellou Dalein Diallo s’autoproclamera vainqueur à son tour.
Le RPG Arc en Ciel parti au pouvoir s’adjugera également les législatives détenant ainsi une large majorité à l’assemblée nationale. Cette cacophonie qui s’installera dans la sphère politique durant plusieurs mois aboutira à un putsch portant M. Mamadi Doumbouya au pouvoir en cette matinée du 05 septembre 2021, contre toutes les voies démocratiques soutenues par les institutions internationales et les pays dits démocratiques.
Au lendemain de cet évènement aux conséquences incertaines, les sanctions seront retenues contre la Guinée par toutes les organisations internationales dont elle est membre. Toutefois, et après des efforts titanesques déployés par la diplomatie guinéenne mais aussi des menaces du nouveau régime à l’encontre de ses OI, moult sanctions seront progressivement levées motivées par une pseudo conformité de la junte à sa volonté politique de collaborer avec ces institutions et un prétendu engagement de respecter le chronogramme transitionnel déroulé quelques jours après le coup d’état à l’issue d’une farce consultative lors de laquelle des spectacles théâtraux ont été organisés au palais du peuple pour recueillir, disaient-ils, les avis de toutes les couches sociales pour donner une inclusivité à cette transition dont il pouvait faire économie.
Ainsi, des rencontres s’accentuent entre les différentes parties prenantes étrangères et le régime de Conakry au point où Conakry devint une capitale fréquentable au bout de quelques mois, à l’abri de toute critique au risque de représailles. On se rappelle ce chapitre au cours duquel la diplomatie guinéenne a rappelé à l’Ambassade des Etats Unis à Conakry qu’il était inadmissible que celle-ci s’ingère dans les affaires internes du pays en affichant le compte à rebours de la fin de la transition sur son site officiel.
En conséquence, Conakry redevient fréquentable et les ballets diplomatiques s’accélèrent au même titre que les visites officielles de certains présidents en Guinée et de M. Mamadi Doumbouya à l’extérieur. Les relations diplomatiques rompues ou suspendues reprennent toutes progressivement, mieux des diplomates nouvellement accrédités en Guinée prennent fonction en présentant leurs Lettres de créance à M. Mamadi Doumbouya.
Dernières en date, le 30/09/2024 avec les présentations des lettres de créance de plusieurs ambassadeurs notamment de la Turquie, de la République Fédérale d’Allemagne, de l’Algérie, de la Coordinatrice du Système des Nations Unies en Guinée, de la France et du Mali. La suite d’une longue liste précédemment accueillie en pompe au palais Mohamed VI.
Pour la plupart des observateurs, ces actes sont considérés comme légitimant le régime putschiste et soutenant de facto les agissements anticonstitutionnels actant ainsi les comportements peu orthodoxes d’accession au pouvoir. Cependant, quelle est la lecture doctrinale de la présentation des Lettres de créance à un régime anticonstitutionnel et quelle lecture juridique sur l’accréditation d’un ambassadeur auprès d’un tel régime ? Ces interrogations seront examinées au prisme de la doctrine (A) avant d’être soumises à une analyse au regard des textes juridiques (B) en la matière.
- Les approches doctrinales :
Pour comprendre le principe, il faut se replonger dans l’origine de cette missive diplomatique. Elle vit jour dans l’antiquité au IXème siècle. Cet écrit représentait une correspondance adressée par un souverain à un autre pour mandater auprès de ce dernier un émissaire. Elle était un épistolaire somme toute normale sans une quelconque solennité extrême. Cependant vers le XIIIème siècle et considérant les risques d’interception de ces lettres par des tierces personnes, elle connut une amélioration dans sa protection. Elle devait désormais être scellée avec le sceau de l’expéditeur.
Cette correspondance indiquait une recommandation selon laquelle l’agent pouvait être considéré comme la « vraie voix » de l’expéditeur, qui lui aurait placé dans la bouche ses propres mots, l’aurait pleinement informé de son intention ou lui aurait ouvert son esprit. Cette documentation faisait mention de plusieurs identités pour des mesures de précautions au regard des distances et conditions précaires difficiles à dompter à cette époque pour les émissaires dans leur parcours de rejoindre le lieu d’affectation.
Il était plus que fréquent que certains meurent en chemin n’atteignant donc jamais leur destination. La lettre adoptait un caractère bref, succinct et peu explicite laissant la transmission de l’information aux émissaires de vive voix mais surtout évitant que des informations critiques ne soient à disposition de certaines personnes en cas de capture.
Ainsi, cette pratique se perpétua au Moyen âge et à l’époque contemporaine pour devenir une pratique diplomatique. Aucun ambassadeur ou autre envoyé auprès d’un Etat tiers ne pouvait plus être admis en l’absence de cette Lettre de créance. Elle prend la forme d’une approbation ou d’une acceptation par le destinataire et/ou l’hôte. Elle constitue le document qui attestait l’ambassadeur pour parler au nom et au compte de son envoyeur. C’est dans ce contexte que les traités sur l’ambassadeur des XVIe et XVIIe siècles en feront le débat en insistant sur la nécessité de la Lettre de créance, considérée – éventuellement en alternative à la procuration – comme le document fondateur du statut public de l’envoyé.
Toutefois, il était possible d’envoyer des émissaires sans Lettre de créance auprès des d’autres autorités. Cette pratique revêt une double lecture principale. La première consiste à dégager une exception à la tradition selon laquelle les envoyés devaient être dotés impérativement de Lettres de créance pour être reconnus par leurs destinataires. Cette exception est reconnue aux légats cardinaux de l’église de Rome qui selon Jean le Teutonique doivent bénéficier d’une reconnaissance, lorsqu’ils sont bien connus dans une province, et être crus sans besoin d’aucune lettre.
La seconde se borne à l’envoi d’un émissaire sans Lettre de créance auprès d’un gouvernement qui n’était pas reconnu, comme il arriva en 1460 à l’envoyé de Charles VII auprès du dauphin, ou bien en 1466 à l’envoyé de Louis XI auprès du comte de Charolais (qui s’en montra très offensé).
Une dernière raison pour ne pas adresser des lettres écrites plus rare, se fondait sur la volonté d’un gouvernement de déployer un agent semi-officiel ou officieux de manière à éviter des dangers qui pourraient le menacer, ou bien à lui permettre de mieux mener des affaires secrètes.
Il ressort clairement de la doctrine que les Lettres de créance portées par les émissaires vers des hôtes étaient à la fois des signes de respect personnel, de solennité, de considération et de communication officielle entre deux dirigeants. Dépourvu de cet instrument, l’envoyé risquait sa vie en délivrant un quelconque message ou en foulant le sol de l’état tiers.
En outre, la remise des Lettres de créance a été assujettie depuis plusieurs siècles à des cérémonies officielles pour leur conférer cette solennité inhérente aux rapports interétatiques.
L’importance de la Lettre de créance de sa genèse à l’ère contemporaine devient assez cruciale dans les relations diplomatiques mais dénote d’un caractère imminemment symbolique de reconnaissance et de respect non seul à l’égard de l’envoyeur mais aussi de l’envoyé.
Il peut être déduit sans ambigüité que la portée de la Lettre de créance est immense et qu’elle constitue de nos jours un instrument d’accréditation indispensable pour un ambassadeur dans sa prise de fonction dans un état étranger comme le concède les textes juridiques en la matière qui seront examinés dans les prochaines lignes
- Les Approches juridiques
La sémantique littéraire relative à la Lettre de créance nous révèle qu’elle constitue un document officiel porté par un émissaire ou envoyé d’un dirigeant donné adressé à un autre dirigeant afin que cet envoyé soit son représentant auprès de celui-ci. Cette lettre sonne comme une sorte d’habilitation pour l’exercice des fonctions confiées à un émissaire.
La Convention de Vienne sur les relations diplomatiques stipule d’ailleurs en son Article 13 1. que le chef de la mission est réputé avoir assumé ses fonctions dans l’État accréditaire dès qu’il a présenté ses lettres de créance ou dès qu’il a notifié son arrivée et qu’une copie figurée de ses lettres de créance a été présentée au Ministère des affaires étrangères de l’État accréditaire, ou à tel autre ministère dont il aura été convenu, selon la pratique en vigueur dans l’État accréditaire, qui doit être appliquée d’une manière uniforme.
L’article 13.2. poursuit en ces mots « L’ordre de présentation des lettres de créance ou d’une copie figurée de ces lettres est déterminé par la date et l’heure d’arrivée du chef de la mission ».
Cette portée juridique évoquée dans la Convention de Vienne de 1961 est éloquente d’autant plus qu’elle est soutenue par la définition proposée par le lexique des termes juridiques en ces termes : les Lettres de créance sont un document officiel qui accrédite un agent diplomatique et que celui-ci, arrivé dans son poste, remet au chef de l’État (ou au ministre des Affaires étrangères s’il s’agit d’un chargé d’affaires).
En Droit constitutionnel, elles sont considérées comme des Lettres remises par un ambassadeur nouvellement en fonction au chef d’État ou de gouvernement du pays dont il est l’hôte. A ce titre elles deviennent un quitus indéniable et obligatoire pour un ambassadeur dans un pays d’accueil. Ceci est soutenu par cette thèse qui décrit : … ; mais comme il ne tenait sa commission que de l’amiral Duperré, commandant de la station française des Antilles, Victoria avait refusé de le reconnaître officiellement, avant que son gouvernement lui eût expédié des lettres de créance en bonne forme. (Anonyme, Mexique. – Situation des partis, Revue des Deux Mondes, 1829, tome 1).
Cette autre affirmation en est une illustration : Le lendemain matin, au ministère des affaires étrangères, Louis Barthou brise net sa carrière diplomatique : — J’ai dû décommander votre audience auprès du Président Raymond Poincaré. Lénine a renversé Kérenski cette nuit. Vos lettres de créance sont irrecevables. — (Jean-Paul Ollivier, Quand fera-t-il jour, camarade ? 1967).
Dans les relations internationales les accréditations diplomatiques bi-multi ou mini latérales se trouvent de facto assujetties à cette procédure qui a une portée juridique non négligeable.
Partant de cette analyse, il est facilement permis de soutenir que la présentation des Lettres de créance est un principe de conformité auxquels se soumettent volontiers les pays dans leurs relations. Juridiquement significatives, ces lettres sont tout simplement une manifestation de continuité des rapports diplomatiques entre les états qui les possédaient et une création de relation entre les états qui n’en possédaient point.
- Conclusion
Cette étude basée à la fois sur une méthode holistique et empirique, ressort d’abord le fondement de l’utilisation des Lettres de créance. Ces fondements ont leur origine dans l’antiquité gréco-romaine, berceau de la diplomatie occidentale. La genèse de cette pratique démontre l’ensemble des symboliques transmises au travers elles et les communications qui en découlent.
Ensuite, l’analyse nous situe sur les objectifs pouvant être attribués à la présentation des Lettres de créance.
Enfin, il ressort que les deux approches juridico doctrinales démontrent toutes l’importance que revêt la présentation des Lettres de créance de l’envoyé à l’accueillant. On se situe dans un acte de reconnaissance réciproque entre les deux états mis en relief par cette situation.
Les ballets diplomatiques incessants en République de Guinée depuis plusieurs mois s’inscrivent dans cette logique. Les Etats et OI dépêchent leurs commis auprès des autorités guinéennes pour continuer leur coopération ou pour les renouer.
En conséquence, le régime de Conakry en sort requinquer car sa reconnaissance internationale qu’il aura tant recherchée est en voie de se matérialiser à mesure que les échéances approchent.
Il ne serait pas incongru de se demander si cette attitude de ces Etats et OI est dictée par des intérêts à protéger ou par une simple confiance à ce régime au regard des actes satisfaisants posés depuis le 05 septembre 2021.
Y répondre relèverait de la prétention. Toutefois, la signification des présentations des Lettres de créance est éloquente et suffit à elle seule de constater le retour dans le concert des nations normales de la République de Guinée nonobstant cette période transitoire dont les précédents sont, de toute façon, légion dans le concert des nations notamment sur le continent africain.
En somme, il faut concéder au régime et à sa diplomatie, tout le mérite de ce retour inattendu mais fracassant dans les relations internationales.
Seydouba Sylla, juriste analyste