Le conseil des ministres du 27 janvier 2022, du gouvernement guinéen a acté la nécessité de l’organisation d’un recensement général de la population. Cette décision est une étape cruciale de la feuille de route de la transition. Il est en conséquence nécessaire d’expliciter à l’opinion la portée du recensement général de la population de la Guinée au cours de la transition institutionnelle.
Pourquoi un recensement général de la population ?
Rappelons une évidence, aucune gouvernance vertueuse et efficace n’est possible sans une connaissance des données statistiques récentes et exhaustives pour une bonne planification du développement économique, social et environnemental du pays. En effet le recensement général de la population fournit des informations sur les caractéristiques de la population selon les catégories socio-professionnelles, l’âge, le niveau d’instruction, l’habitat etc… Ainsi avec près de 15,4 millions d’habitants en 2022 selon une projection issue du recensement général de la population de 1996, la Guinée doit envisager les conditions d’accueil de la prochaine génération. Cette estimation de la population guinéenne n’a pas pris en compte les dynamiques du développement démographique des guinéens de l’étranger. Depuis des lustres la diaspora guinéenne éparpillée en Afrique et dans le reste du monde avoisine près du tiers de la population résidente à l’intérieur du territoire national. L’imprécision des chiffres de la démographie nationale est un handicap pour une meilleure connaissance des réalités guinéennes. Dans ce contexte aucune politique publique n’est viable et efficace. C’est l’une des racines de la mauvaise gouvernance du pays.
Les besoins statistiques sont stratégiques pour la construction nationale. De ces chiffres découlera la participation de l’Etat au budget des communes dans le cadre de la mise en œuvre de la décentralisation. En effet l’allocation des ressources publiques doit être proportionnelle au peuplement de chaque collectivité locale pour assurer le financement des investissements des équipements collectifs prioritaires.
Le recensement général de la population et la transition guinéenne
L’extraction du fichier électoral à partir du fichier de recensement général de la population et puis la confection à la fois d’une carte d’identité digitalisée et de la carte électorale (en recto-verso comme au Sénégal) auront plusieurs avantages :
- Disponibilité des données statistiques démographiques de la Guinée pour les besoins de planification et de gouvernance
- Disponibilité du fichier d’identification national fiable et exhaustif
- Disponibilité du fichier électoral qui ainsi sera fiable, transparente et incontestable
- Délivrance gratuite d’une carte d’identité nationale digitalisée à tous les citoyens
Ainsi la problématique de la refondation de l’Etat sera effectivement engagée sur des bases solides. La gouvernance administrative et économique de la Guinée sera par ce biais plus rationnelle et efficace. Les gains de productivité nouvellement acquis de l’administration générale permettront d’instaurer ainsi un climat de confiance entre citoyens et Etat. Le processus électoral qui pourra s’en suivre sera plus lisible et pacifique. Cette voie traduira dans les faits l’attente et les aspirations des populations guinéennes.
La réalisation de ce programme fondateur de l’Etat guinéen nécessitera une durée que seuls les experts statisticiens, démographes et les ingénieurs informaticiens pourront donner une indication précise. Alors, la Guinée aura besoin d’une forte assistance technique et financière de la communauté internationale pour réussir dans un délai raisonnable ce vaste chantier d’utilité publique majeure.
En effet il sera judicieux de combiner à la fois les objectifs spécifiques des recensements démographique et électoral. Les cahiers de charge devront être à cet égard conçus pour permettre cette intégration des tâches qui permettront de concilier les dynamiques de la refondation de l’Etat et de l’organisation du processus électoral. En effet il suffit d’extraire du fichier du recensement général, le fichier électoral avec l’ensemble des citoyens en âge d’être électeur. Bien entendu ces opérations devront prendre en compte les guinéens de l’intérieur comme de l’extérieur.
Les leçons du passé
Certaines sirènes font entendre qu’il faut « abréger » la période transitoire pour « faire vite les élections ». Un bref regard par le rétroviseur est nécessaire pour capitaliser les erreurs du passé. En effet, la transition du CNDD n’a en réalité était productive que lorsque Feu Jean Marie DORE pour le compte des Forces Vives a été nommé Premier Ministre pour un an. La perte de temps et d’efficacité enregistrée durant l’année 2009 a obligé de précipiter la transition en 2010. La constitution n’a pas été adoptée par voie référendaire. Cette brèche juridique a été exploitée par le Président Alpha Condé pour justifier le changement anticonstitutionnel de 2020. Les élections législatives qui initialement devait précéder les présidentielles ont été interverties pour n’avoir lieu que 3 années après la transition. Les élections communales qui devaient être organisées aussi dans la foulée de la présidentielle de 2010 l’ont été huit ans après. Le recensement électoral biométrique financé par les Nations Unies avec l’opérateur technique SAGEM qui a servi pour les présidentielles de 2010 a été abandonné dès la prise de fonction du Président Alpha Condé. Par la suite l’alchimie politique du régime a été de confectionner des fichiers électoraux fantaisistes et totalement corrompus. C’est ainsi que les acquis des luttes des Forces Vives Nationales de 2005 à 2009 ont été anéantis et dilapidés. Un véritable gâchis humain et politique pour des prétextes politiciens….
En conséquence, la transition actuelle sous l’égide du CNRD a une obligation morale et politique de corriger les principaux dysfonctionnements qui ont généré les crises politiques violentes qui ont jalonné l’histoire récente de notre pays. La refonte du processus électoral pour se doter d’un fichier électoral fiable et exhaustif, l’adoption par voie référendaire de la prochaine constitution et l’organisation des élections locales et législatives avant les présidentielles procèdent de la volonté d’éviter les fautes du passé tout en jetant les bases essentielles pour une meilleure gouvernance post-transition du pays.
Encore une fois, rien n’est définitivement acquis et rien aussi n’est définitivement perdu.
BAH Oury
Président de l’UDRG